Groupe de recherche « Poétique de l’étranger »
(EA 1569, Université Paris 8, resp.
Claire Joubert)
en association avec EA 1579, Littérature et histoire, axe Traduction et mondialisation, resp. Lionel Ruffel
et avec POLART – poétique et politique de l’art
et avec POLART – poétique et politique de l’art
comité scientifique :
J. Chemmachery, C. Joubert, S. Katsiki, H. Quiniou
Séminaire
Diversité des langues et poétique de l’histoire – #5
Généalogies
du mondial
(2014-2016)
Le dernier
cycle du séminaire « Diversité des langues et poétique de
l’histoire » était consacré à la mise en comparaison des pensées de la
postcolonialité, à partir d’une relecture des Postcolonial Studies, et par la confrontation, théorique et
idéologique, du « postcolonial » à la dimension du trans-colonial. L’histoire du
colonialisme moderne était réinterrogée par celle des rapports traversiers entre
systèmes coloniaux européens concurrents, et l’histoire conceptuelle des tropes
de la domination épistémique était reproblématisée par l’écoute du dissensus
entre ses traditions discursives singulières dans les langues européennes vectrices
de colonisation. L’amorce critique était donnée à l’interface historiquement délicate
entre anglophonie et francophonie, en faisant de la réception problématique des
Postcolonial Studies en France le
point de départ de la réflexion[1].
L’enjeu était donc aussi de savoir ce qui se joue, scientifiquement et
politiquement, dans cet accroc à la bonne « circulation internationale des
idées », et dans tous les malentendus qui jalonnent le passage entre les
langues – qu’ils agissent comme censure ou comme transcréation conceptuelle.
Dans le
sillage des thématiques précédentes (le comparatisme littéraire, la traduction
et les traductologies, l’idéologème « société de la connaissance » et
la relation philologique entre vocabulaire et institution), le cycle 2014-2016
poursuit ce travail de critique comparatiste des pensées du rapport de
différence culturelle, en prenant cette fois pour objet les concepts du mondial.
Ce sont les situations d’énonciation de ces concepts dans les disciplines et
dans les langues qui nous intéresseront, en tant qu’elles sont déterminées dans
l’interaction critique avec l’ordre de la Mondialisation : en tant
qu’elles dessinent, par là, les contours d’un nouvel état du rapport entre
savoir et pouvoir.
Dans leur
analyse généalogique des configurations contemporaines du pouvoir, les Postcolonial Studies ont construit depuis
le début des années 1980 des outils qui ont rapidement démontré leur capacité à
penser aussi les dimensions discursives des processus de mondialisation. Leur
impact théorique s’inscrit progressivement sur l’ensemble des sciences humaines
et sociales anglophones au cours des décennies où l’euphorie des
décolonisations a déjà tourné en désarroi postcolonial, et se double du retour
en force du libéralisme. Et dès le milieu des années 1990, elles commencent à
exercer leur sensibilité aux conditions d’énonciation du savoir pour capter les
premiers assemblages d’une nouvelle idéologie cognitive et géoculturelle, mais
aussi pour reconnaître les continuités entre les phases du capitalisme colonialiste
et la mutation « postindustrielle » du système économique mondial, dans
ses poussées transnationales inédites.
Cette
finesse analytique, puisée dans l’attention aux stratégies énonciatives des
œuvres littéraires et à la poétique du discours, constitue un acquis
indispensable pour travailler à articuler les effets hégémoniques actuels de la
Mondialisation – contre les tentations de globalisation conceptuelle, y compris
dans l’effort critique lui-même. Avec cette attention aux inscriptions matérielles
du pouvoir dans le discours, il s’agit d’identifier des points critiques où les
savoirs sur le mondial se nouent actuellement à la mondialisation des savoirs,
c’est-à-dire où se négocient âprement de nouvelles distributions de l’équilibre
hégémonique ; en particulier dans la mise en concurrence du scientifique
avec « l’information » et « la connaissance », nouveaux
modèles du travail intellectuel.
En
partant cette fois d’une lecture des discours qui se sont mis en réseau
discursif mobile sous l’appellation
lâche de Global Studies, le séminaire
veut mettre en regard les propositions des disciplines qui construisent ou
reconstruisent actuellement des concepts du mondial avec leurs conditions
discursives dans l’université en cours de mondialisation ; c’est-à-dire
aussi sur l’horizon, géopolitiquement et linguistiquement différencié, de la
société de la connaissance. Il cherchera à comprendre, par l’étude des termes
dans lesquels continue à se faire le « tournant mondial » dans les études
postcoloniales, et dans des pans entiers des sciences de la culture (économie
et politologie, relations internationales, géographie humaine, anthropologie et
sociologie, histoire mondiale et histoire connectée, world literature, et les multiples traverses disciplinaires et traveling theories essayées pour saisir
le transnational), ce qui fait le caractère inédit des sciences de la
Mondialisation : des sciences qui, au moment où elles se reconfigurent
pour penser la Mondialisation, se trouvent aussi pensées par elle.
Les étapes du
séminaire chercheront à explorer les différents plans de la différenciation (analytique)
des mondialisations, de l’invention (poétique) de mondialités, et des
projections (politiques et activistes) de contre-mondialités, qui constituent ensemble
l’espace critique de ces luttes énonciatives. Ici, les moyens critiques qui
sont fournis par les frayages littéraires et par le jeu de la différence des
langues seront remis à l’épreuve. Car si les processus de mondialisation contemporains
exigent de repenser fondamentalement les modèles théoriques du rapport entre
culture et politique, libéraux comme marxistes, qui sont pris en défaut par les
désarticulations de l’Etat-nation et les captations capitalistes du culturel, il
faudra descendre généalogiquement jusqu’à la radicalité de l’historicité du
discours : au vif de la transaction matérielle entre sens et organisation
sociale, où se renouent à chaque instant les modalités spécifiques des
différentiels de pouvoir.
Pour
continuer à théoriser la culturalité du pouvoir, on pourra donc commencer en
introduisant le simple coin de la différence des langues, en posant aux Global Studies la question de tout ce
qui se glisse d’enjeux critiques par exemple dans la distinction, mise en relief
en français, entre mondial et global.
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[1] Le
volume Le « Postcolonial »
comparé : anglophonie, francophonie, codirigé par Emilienne Baneth-Nouailhetas
et Claire Joubert est actuellement sous presse. La publication est annoncée
pour mai 2014 aux Presses Universitaires de Vincennes.
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