12 avril 2016

Parution : Problèmes d'histoire littéraire indienne, RLC 2015

Parution : Problèmes d'histoire littéraire indienne, numéro spécial de la Revue de Littérature Comparée (n° 356, oct-déc 2015), dirigé par Claire Joubert (Université Paris 8) et Laetitia Zecchini (CNRS et CEIAS).
ISBN 978-2-252-03989-2, 138 pages, 25 euros.
Les textes sont d'ores et déjà disponibles en ligne sur la plateforme Cairn.

Présentation :

Fruit du séminaire interdisciplinaire "Problèmes d'histoire littéraire indienne" conduit par C. Joubert et L. Zecchini de 2013 à 2015, cet ensemble d'études vise à explorer les multiples effets de diffraction qui font de la catégorie "histoire littéraire indienne" un objet épistémologique instable et fuyant - au sens où aucun des termes employés ici ("histoire", "littérature", ou même "Inde") ne va de soi. Cette histoire littéraire est problématique non seulement parce que les littératures de l'Inde s'écrivent en plus d'une vingtaine de langues majeures - la catégorie "littérature indienne" suscite à ce titre les mêmes difficultés que la catégorie "littérature mondiale" -, mais aussi en raison de la généalogie orientaliste et coloniale des discours sur ces littératures.
C'est la question centrale des manières dont on a décidé, à telle époque, dans tel pays, pour tel corpus, en fonction de tel usage ou de telle discipline, de ce qu'était la "littérature indienne" et de ce qui faisait "littérature" que nous prenons pour point de départ de notre réfléxion: ce sont les avantages théoriques de cette mobilité que nous cherchons à mettre en lumière, pour leur capacité à répercuter des effets critiques majeurs sur des notions posées au fondement méthodologique des des disciplines littéraires européennes - à commencer par le cadre de la nation. Réfléchir à "l'histoire littéraire indienne" permet ainsi d'interroger, de pluraliser, voire de provincialiser les catégories d'histoire littéraire, d'histoire ou de littérature nationale et, au bout du compte, la catégorie même de "littérature".

Sommaire :


Laetitia ZECCHINI, « Crisis in Literary History » ? Du « nativisme » et du provincialisme, et de quelques autres débats intellectuels en Inde, RLC LXXXIX, n° 4, octobre-décembre 2015, p. 391-404.

Cet article s'intéresse à la manière dont les écrivains indiens contemporains envisagent le champ dans lequel ils se placent ou sont placés. Il interroge les débats virulents qui traversent, aujourd’hui en Inde, les milieux intellectuels et qui prennent pour objet l’histoire ou la critique littéraire — et leur « indianité » supposée.
Si un consensus semble émerger sur une certaine « amnésie » historique et sur la compartimentation croissante des planètes linguistiques et littéraires de l’Inde, cet article s’intéresse aux interprétations souvent opposées de cette « crise », et notamment au courant dit « nativiste » dont les écrivains-théoriciens (B. Nemade, G. N. Devy) prônent une histoire « indigène ».

Claire GALLIEN, Les orientalistes britanniques de la fin du XVIIIe siècle et la création du canon littéraire indien, RLC LXXXIX, n° 4, octobre-décembre 2015, p. 405-418.

La redécouverte de la littérature indienne dans l’Europe de la fin du XVIIIe siècle et son influence sur les mouvements littéraires européens ont été largement étudiées. Cependant, le concept même de « littérature indienne » n’a pas été suffisamment problématisé. Titres et contenus sont étudiés sans considérer les transformations imposées sur les textes indiens avant leur circulation en Europe.
Empruntant aux travaux spécialistes de l’Asie du Sud et à la critique de l’Orientalisme, cet article analyse le processus de création du canon littéraire indien « en comparaison » avec l’Europe et les enjeux idéologiques d’une telle construction.

Pascale RABAULT-FEUERHAHN, Le fil de l’histoire : appropriations savantes de l’histoire littéraire indienne dans l’Europe du XIXe siècle, RLC LXXXIX, n° 4, octobre-décembre 2015, p. 419-432.

Remonter le fil de l’histoire indienne fut l’objectif principal des savants européens étudiant la littérature indienne au XIXe siècle. Cet article analyse ce tropisme historico-ethnographique à partir d’exemples puisés dans le domaine germanique.
Dans cette perspective qui privilégiait le passé, la littérature était restreinte à la tradition sanskrite. Mais on y intégrait tous les types de textes, pour pallier l’absence supposée d’histoire politique par des repères d’ordre culturel. Mais alors que la grammaire comparée démontrait la parenté des langues indo-européennes, et que les études littéraires contribuaient à la construction des identités nationales en Europe, cette histoire culturelle était-elle encore celle de l’Inde ?

Claudine LE BLANC, Écrire l’histoire de la littérature indienne en France au XIXe siècle. De la fragmentation à la dissolution de l’objet, RLC LXXXIX, n° 4, octobre-décembre 2015, p. 433-446.

Au XIXe siècle, alors que se multipliaient les traductions de corpus indiens inédits, pas moins de quatre histoires de la littérature indienne ont paru en France. Mais le choix commun d’une perspective chronologique est loin d’unifier le discours des quatre auteurs, deux savants (Joseph Garcin de Tassy et Albrecht Weber), et deux amateurs (Louis Énault et Jean Lahor). Les spécialistes ont conscience de construire un objet « littérature indienne » très en deçà de la diversité de la
production littéraire de l’Inde. Énault et Lahor imposent une unité éthique et spirituelle à une « littérature hindoue », où des genres entiers, et l’idée même de littérature, tendent à disparaître. Ces quatre ouvrages témoignent ainsi du caractère problématique de chacun des termes de l’expression « histoire de la littérature indienne ».

Catherine SERVAN-SCHREIBER, Folklore/littérature/orature : frontières et cloisonnements dans l’histoire littéraire indienne, RLC LXXXIX, n° 4, octobredécembre 2015, p. 447-460.

Cet article, qui part de l’expérience personnelle de recherche de l’auteur sur la littérature de l’Inde du Nord, retrace la généalogie des études sur les traditions orales indiennes en France. En évaluant la place de l’oralité dans l’histoire des littératures indiennes et les classifications retenues pour étudier ces corpus de textes, cet article restitue les étapes qui mènent à un décloisonnement entre « littérature », « orature » et « folklore ». Ce faisant, il appelle aussi à un décloisonnement entre
disciplines et aires culturelles, en montrant le rôle charnière de l’oralité, qui relève du champ littéraire tout autant que de l’anthropologie.

Claire JOUBERT, B.R. Ambedkar : la lutte dans les lettres, RLC LXXXIX, n° 4, octobre-décembre 2015, p. 461-472.

B.R. Ambedkar constitue un point de fuite singulier à l’intérieur des lettres indiennes, elles-mêmes précieuses pour leurs effets centrifuges sur la pensée de « la littérature ». Habituellement étudié par les sciences sociales comme leader des Intouchables et figure majeure de l’histoire de l’Indépendance, il sera ici abordé par une poétique : comme générateur de la prise de parole dalit, il fait apparaître des perspectives dans l’histoire discursive du sous-continent qui dénaturalisent
les césures européennes entre lettres et sciences humaines et sociales.

Anne CASTAING, Women Writing in India : pour une histoire littéraire des femmes, RLC LXXXIX, n° 4, octobre-décembre 2015, p. 473-484.

Les critiques féministes Susie Tharu et K. Lalita publient en 1991 une anthologie magistrale : Women Writing in India, qui vise à révéler les voix littéraires féminines de l’Inde, interroge les fondements même du genre (histoire littéraire ou anthologie ?), comme il interroge ceux de littérature indienne et d’écriture féminine. Au regard de cette anthologie, cet article a pour ambition de souligner les épineuses questions que rencontre une histoire littéraire militante, dont ici celle des visées
transnationales du féminisme occidental, pour montrer comment s’élabore un ethos subalterne qui témoigne de la diversité des formes d’oppression du sujet, qu’il soit femme, indien, littéraire, postcolonial et/ou vernaculaire.

Guillaume BRIDET, Rabindranath Tagore, première figure d’une histoire littéraire (vraiment) mondiale ?, RLC LXXXIX, n° 4, octobre-décembre 2015, p. 485-496.

Dans le contexte de la remise en cause du nationalisme méthodologique et en s’appuyant sur l’oeuvre de Rabindranath Tagore, cet article identifie les conditions d’une histoire littéraire (vraiment) mondiale. Il ne cherche ni à établir l’anthologie de la littérature universelle (définie par la valeur littéraire des textes) ni à quantifier les flux de la littérature globale (définie par leur diffusion), mais à identifier une littérature qui est le fruit de fécondations croisées et qui dépasserait les idiosyncrasies
nationales : ce qu’on peut appeler littérature cosmopolite.

Katia LÉGERET, La transmission orale des fables du Pañcatantra au théâtre, entre l’Inde et la France : enjeux transtextuels et interculturels, RLC LXXXIX, n° 4, octobre-décembre 2015, p. 497-508.

Cette recherche se fonde sur une réalisation artistique dirigée par Katia Légeret à l’Université Paris 8 depuis 2010, avec des acteurs-danseurs professionnels français et indiens. Ils ont élaboré avec les étudiants une adaptation et une réécriture corporelle de plusieurs fables de Jean de La Fontaine inspirées d’histoires du Pañcatantra, à travers des codifications gestuelles très variées, avec
d’abord celles des théâtres indiens puis avec celles de leurs propres cultures. Ce type de « métissage » entre les langues, les rythmes musicaux et les gestes rend inséparables la créativité et la fonction critique de l’art par rapport à une lecture ethnocentriste de la littérature.

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