14 avril 2009

Hommage à Henri Meschonnic

Source Fabula: http://www.fabula.org/actualites/article30468.php

Henri Meschonnic est décédé le 08 avril 2009.
Théoricien du langage et de la littérature, traducteur, poète, il était entré au Centre universitaire expérimental de Vincennes en 1969 et avait participé à sa fondation. Il poursuivit une brillante carrière à l'Université Paris 8 dont il avait été vice-président du Conseil scientifique de 1989 à 1993 et directeur de l'Ecole doctorale « Disciplines du sens » (actuellement « Pratiques et théories du sens »), qu'il avait fondée en 1990.

Dans Libération du 11/4/9, on pouvait lire cet hommage:

Henri Meschonnic, une pause lourde de sens

Disparition. Connu pour ses traductions de l'Ancien Testament, le linguiste et poète est mort mercredi à 76 ans.

par ERIC AESCHIMANN

Henri Meschonnic, poète, traducteur et linguiste, est mort le 8 avril. Il avait 76 ans et laisse une oeuvre littéraire imposante. Homme chaleureux, il était aussi engagé dans son travail poétique que dans ses essais souvent polémiques, ou dans son enseignement à l'université de Vincennes, dont il fut l'un des fondateurs.
A Vincennes, justement, Meschonnic, qui était un ami du linguiste Benveniste et enseignait la linguistique, choisit d'intégrer le département de littérature. Le cas de figure était inédit, mais il s'agissait, pour lui, d'entamer sa «sortie» du structuralisme. Car, contre les théories de la signification, Meschonnic fut l'homme d'une idée : dans une langue, ce qui fait sens, ce qui permet à chacun d'y trouver sa vérité, c'est le rythme (c'est-à-dire la poésie, l'écriture…). Le rythme est l'espace où la langue, soumise aux lois sociales et grammaticales, offre un espace de liberté au «sujet parlant». «Le point faible des théories du langage, donc des théories de la société, est le poème, écrit-il dans la Rime et la Vie. L'écriture est ce qui advient quand quelque chose se fait dans le langage par un sujet et qui ne s'était jamais fait ainsi jusque-là. […] Elle commence où s'arrête le savoir», ajoute-t-il plus loin.
Hébraïque. Engagée en 1972 avec Dédicaces proverbes, qui obtint le prix Max-Jacob, son oeuvre poétique compte une quinzaine de recueils. Mais c'est surtout par ses traductions de l'Ancien Testament qu'il aura été connu du public. Ayant appris l'hébreu en autodidacte pendant la guerre d'Algérie, il y découvre la place essentielle des notations rythmiques des versions originelles, notations que les traductions existantes passent entièrement sous silence.
En 1970, pour les Cinq Rouleaux, traduction de plusieurs textes bibliques, dont le Cantique des cantiques, il met au point un nouveau type de transcription, avec des espaces blancs pour indiquer les pauses rythmiques spécifiées par le texte hébraïque. D'autres traductions suivront. «Celles des psaumes sont les plus stupéfiantes que je connaisse, témoigne le linguiste Pierre Encrevé, parce qu'elles gardent l'ordre du texte et le phrasé hébraïques tout en restant dans un français parfait. C'est troublant et très intéressant» . Plusieurs de ses traductions ont été adaptées au théâtre.
Juif d'origine polonaise, contraint de se réfugier en zone libre à l'âge de 12 ans, Meschonnic a également mené une bataille véhémente contre Heidegger, dont il jugeait la pensée et la langue inséparables de son engagement nazi. Dans le langage Heidegger, paru en 1990, il pointe les tics qu'un courant de la philosophie française, autour de Derrida, aurait emprunté au philosophe allemand.
«Douleur». D'autres inimitiés, à commencer par celle du poète Michel Deguy, lui sont venues de ses virulentes attaques contre la poésie française contemporaine. Enfin, il fut un critique sévère du français, de sa supposée «clarté» et de son centralisme. En 1999, dans Libération, à propos de la Charte européenne des langues régionales, tout en rendant hommage aux instituteurs de la IIIe République, il suggérait au Président de «faire à l'égard des Bretons ce qu'il a fait pour les Juifs à Vichy pour permettre le travail de deuil. On mesure mal la douleur transmise depuis deux siècles chez les Bretons».

J'ajoute aussi cet article qu'on peut consulter dans:

http://bibliobs.nouvelobs.com/20090409/11843/henri-meschonnic-est-mort

Disparition
Henri Meschonnic est mort
Par Baptiste Touverey

A l'origine était le rythme. Le rythme qui irrigue le langage et lui permet de transformer la vie. Si on l'oublie, on ne fait plus que nommer les choses, c'est-à-dire plaquer sur elles des mots. Henri Meschonnic, qui avait un peu la tête d'un chef d'orchestre fou, sommet du crâne dégarni et touffes de cheveux en pagaille sur les côtés, était obsédé par ce rythme salvateur et vivifiant. Il refusait la distinction entre la prose et le vers; pour lui, il n'y avait que le langage, un et indivisible. C'est pour cela qu'il traduisit avec prédilection la Bible, où, dans le texte hébraïque original, prose et vers ne font qu'un. Une traduction qui fit date. Il laisse une œuvre d'une abondance et d'une variété impressionnantes. Son dernier essai «Pour sortir du postmoderne» venait de paraître chez Klincksieck.
Mais, sous le traducteur révolutionnaire, l'éminent professeur de linguistique à l'Université de Paris-VIII, l'essayiste sans concession, il y avait avant tout un poète. Meschonnic est non seulement l'auteur de nombreux recueils, mais un penseur concevant tout sous l'angle poétique. Dans son dernier recueil, intitulé «De monde en monde» et sorti en janvier, il écrivait: «Je ne parle pas mes mots / ce sont mes mots qui me disent.» Sa vision intransigeante de la poésie lui avait fait prendre ses distances avec des poètes aussi reconnus qu'Yves Bonnefoy ou Michel Deguy. Il refusait une poésie qui se contente de célébrer le monde. Le poème, tel qu'il l'entendait, était «transformation d'une forme de vie par une forme de langage et d'une forme de langage par une forme de vie».

Henri Meschonnic est décédé le 8 avril 2009. Il avait 76 ans. Il sera inhumé mardi 14 avril à 15 heures au Père-Lachaise.

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